— Flora Diguet et Gaël Le Guillou-Castel

Comment définissez-vous votre travail artistique avec des amateur.es ?
Flora : J’adore la pédagogie. Elle a toujours été essentielle dans mon parcours d’actrice. J’ai débuté au sortir de l’école du TNB, à 21 ans; j’enseignais à des ados en Lycée, montais un spectacle avec des élèves de primaire, dirigeais une lecture publique avec des adultes à l’ADEC, partais en résidence en immersion au sein d’un collège pour un spectacle éphémère… Très vite, je suis intervenue pour des ateliers adultes ou ados dans le cadre d’associations ou MJC, en parallèle avec les ateliers dans le milieu scolaire. Ce qui me plaît avant tout, peu importe le cadre et le public concerné, c’est de regarder des acteurs et actrices travailler. Les observer, les aiguiller, les aider, la direction d’acteur/d’actrice pure. Etre une actrice qui en dirige d’autres, avec le jeu au centre, l’interprétation dans tous ses aspects (technique, émotionnel, corporel, imaginaire…) Emmener les actrices et acteurs sur le chemin de l’appropriation d’un texte, d’une parole, d’un corps, d’une voix, d’un rôle en somme, m’a toujours passionnée. Et c’est un travail à double-sens, qui me nourrit, si bien qu’aujourd’hui je suis aussi metteuse en scène. J’éprouve de plus en plus de plaisir et d’engagement à m’investir dans des projets d’actions culturelles sur le long terme, avec un spectacle à la clé où on peut aller au bout d’un travail et même expérimenter plusieurs représentations. Des projets où je suis directrice d’acteurs et d’actrices mais aussi metteuse en scène pour le coup.
Gaël : la question est ardue, car pour moi il y a avant tout des acteurs et des actrices. Ils peuvent en faire profession ou pas, être jeunes ou plus âgé.e.s, avoir trouvé une place dans le monde ou peiner à s’y tenir. Dans un groupe, il y a avant tous un ensemble d’humanités que j’ai envie de rencontrer. Ensuite, il y a l’histoire que nous allons inventer ensemble. Chaque année, chaque création, chaque groupe sont différent.e.s. Pour cette fois, l’atelier a pour point de départ le désir que nous avions, Flora et moi, de poursuivre une camaraderie professionnelle initiée l’année dernière. En jouant sur nos complémentarités. Elle est plus actrice, je suis davantage metteur en scène, mais elle met en scène et je joue. Nous venons d’expériences très différentes, et c’est autour d’un texte fort que nous proposerons au groupe d’explorer ces deux approches complémentaires de l’acte de création. On peut déjà dire qu’il sera question de révolution!
Quelle est la rencontre artistique qui t’a marquée ?
Flora : Plein !.. J’ai été marquée par divers artistes et pour des raisons plurielles : Stanislas Nordey, alors directeur pédagogique de l’école du TNB, qui m’a transmis la gourmandise du travail, l’exigence et l’engagement nécessaires dans ce métier ; Marine Bachelot Nguyen, avec laquelle je travaille régulièrement et partage son amour d’un théâtre politique, féministe, questionnant les schémas de domination de race, de classe et de genre ; Thomas Jolly ami et compagnon de route depuis l’école, avec 12 ans d’une vie de compagnie aux épopées artistiques et aventures humaines initiatiques, travaillant en collectif où l’acteur déploie son créateur ; Et si je dois citer un choc artistique qui m’a profondément marquée et bousculée pour sa folie, son travail d’actrice impressionnant et déroutant, c’est Valérie Dréville dans Médée Matériau d’Heiner Muller mis en scène par Anatoli Vasiliev, il y a 15 ans.
Gaël : je vais volontairement faire un pas de côté par rapport à l’attendu que suppose la question. Une des rencontres artistiques les plus marquantes de ces dernières années a été le travail que j’ai mené avec des personnes de l’Association d’Aide à l’insertion Sociale – Maison Relais de Vitré. J’ai créé, en écriture de plateau, un repas-spectacle avec un groupe de résidents, qui sont tous dans des difficultés de vies. Nous avons dû répéter assis, l’état de santé des acteurs ne me permettant pas de recourir aux exercices habituels de pratique théâtrale. Dans les quatre mois qu’a duré cet atelier hebdomadaire, nous avons appris à nous rencontrer et à construire, pudiquement, une œuvre. Ils ne se pensaient pas d’aller jusqu’à la rencontre avec le public, mais il y a eu tant de grâce chez eux lors de la représentation que j’en ai pleuré.
Une phrase clé : Flora
: « Le Vent souffle..C’est d’abord une voix dans le vide, un souffle à
l’intérieur d’un trou, un manque dans le silence de l’air. » Fernando
Pessoa
Gaël : « Raconter
le Monde, ma part misérable et infime du Monde, la part qui me
revient, l’écrire et la mettre en scène, en construire à peine,
une fois encore, l’éclair, la dureté, en dire avec lucidité
l’évidence. Montrer sur le théâtre la force exacte qui nous saisit
parfois, cela, exactement cela, les hommes et les femmes tels qu’ils
sont, la beauté et l’horreur de leurs échanges et la mélancolie
[…] »
Jean-Luc Lagarce dans Revue d’Esthétique n°26 Jeune Théâtre 1994
Ce binôme démarre en 2019.